Le village de Moussey a joué un rôle important pendant la guerre. Il a été un point de passage notamment pour les prisonniers évadés et les réfractaires qui souhaitaient quitter la région annexée. A partir de Salm, village situé sur le versant alsacien, de courageux passeurs ont conduit des hommes et des femmes à travers les Vosges (pour situer les lieux, voir la carte en fin de page). Au milieu de leur chemin, une borne marquait la séparation entre l'Alsace annexée et la France occupée. Les passeurs pouvaient alors compter sur la solidarité et le silence des habitants de Moussey et de la vallée du Rabodeau. A l'image de notre héros, Paul Bernard, beaucoup des évadés ont ensuite rallié la Résistance, en passant par la Suisse ou en rejoignant, avant 1942, la zone "libre". Avec les combats de la Libération, Moussey s'est à nouveau illustré en venant en aide aux "SAS", les parachutistes britanniques du Special Air Service, cachés dans les forêts. Ils attendaient les renforts, pourchassés par des Allemands. Au fil de notre marche entre Salm et Moussey, nous avons retrouvé, grâce à leurs descendants, les traces de ces femmes et de ces hommes exceptionnels de Moussey. Grâce à eux, nous avons compris l'histoire de la vallée du Rabodeau.
Résister à tout prix Témoignage de M. LEMAIRE, petit-fils de résistant
Maxence Lemaire nous présente un portrait de Jules Py, maire de Moussey pendant l'occupation, mort à Dachau le 25 janvier 1945
Nous avons eu la chance de rencontrer M. Maxence Lemaire, Mousséen et petit-fils de résistant, qui nous a raconté l’extraordinaire destin de son village durant la 2ème guerre mondiale.
Premier acte de résistance à Moussey : l'aide aux passeurs Dès 1940, ce petit village situé au pied du Donon devient, grâce à la complicité de la très grande majorité de ses habitants, le point de chute des personnes que les passeurs alsaciens ont aidé à franchir la frontière. 16 000 Alsaciens Mosellans ont emprunté le chemin des passeurs. La plupart d’entre eux fuyaient l’incorporation de force dans l’armée allemande. Le passage se faisait aux heures sombres, avec la complicité des habitants de toute la vallée du Rabodeau. A Moussey, certaines maisons arborent des draps ou des fleurs aux fenêtres afin de signifier qu’il n’y a pas de danger : les « passés » sont alors accueillis, nourris, parfois hébergés. Avec la complicité du photographe, les cinq gendarmes de Moussey leur confectionnent de fausses cartes d’identité, avec du matériel officiel (du « vrai » papier) de l’État français. Les gendarmes prennent soin de mentionner sur ces cartes d’identité des mairies qui ont été détruites, avec leurs archives, par les Allemands. On ne pourra donc plus rien vérifier. Les « passés » sont ensuite renvoyés vers la gare et les réseaux ferroviaires ou pris en charge par les camions des usines textiles. Certains d’entre eux s’engageront par la suite dans la Résistance. Les trois hommes qui organisent la Résistance à Moussey sont : Jules Py, le maire et le directeur de l’usine textile, Lucien Simonot, le directeur de l’école des garçons, Achille Gassmann, le curé.
Deuxième acte de résistance à Moussey : aide aux détachements du « Special Air Service » parachutés dans les Vosges d’août à septembre 1944. Les Alliés ont pour objectif de préparer et de sécuriser l’offensive vers l’Alsace par les cols secondaires de la vallée du Donon, en sabotant les arrières de l’armée allemande et en s’appuyant sur un millier de maquisards locaux prêts à prendre les armes. Seront parachutés à Moussey : des containers d’armes (mitrailleurs STEN), des hommes en renfort (pour former les maquisards aux armes), du matériel de sabotage (pour détruire des ponts, des voies ferrées…), de la nourriture et de l’argent.
Le prix de la Résistance : les rafles de 1944 Les Allemands, bien renseignés, qui redoutent la forte mobilisation de la vallée, renforcent leur présence : trois Britanniques de 22/23 ans sont pris et exécutés, tous les hommes valides de Moussey sont déportés.
Le 24 septembre 1943, les hommes, les femmes, les enfants, sont rassemblés, à huit heures, après la première messe du dimanche. Les Allemands encerclent le village. Un officier exige que les Résistants se dénoncent. Mais sous l’influence du maire, personne ne se dénonce. Le village fait bloc. Les hommes valides sont déportés à Dachau. Ils ne reviendront pas.
M. Maxence Lemaire nous a ensuite présenté une collection d’objets et de documents qui illustrent et permettent de mieux comprendre les parcours des Résistants de Moussey (voir diaporama ci-dessus ).
Des fausses cartes d’identité confectionnées par les gendarmes de Moussey,
Une veste rayée avec un insigne (un triangle rouge F) évoque le sort tragique des déportés,
Le képi de Lieutenant-Colonel rappelle que le maire Jules Py, As du Génie, était un homme honoré. Le calot qu’il portait en déportation symbolise la déshumanisation dont il a été l’objet.
Les lunettes de Bernard Py, le fils du maire, déporté lui aussi, sont cassées et rafistolées par un autre déporté. Elles témoignent de la brutalité et de la solidarité qui coexistent dans le camp.
Des documents avec des photographies évoquent l’action des femmes de la région engagées dans la Résistance, comme Solange Vigneron, active résistante communiste, guillotinée en Allemagne, ou Suzanne Goeppel, une jeune fille, qui ravitaillait les Résistants, morte à 17 ans dans un camp de concentration (voir Les Résistants)
Après la guerre, les acteurs et les témoins ont transmis inlassablement la mémoire des événements. Les objets que nous avons vus prendront place dans le Centre de la Mémoire dont l’ouverture est prévue à Moussey au printemps 2018.
Une Résistance très discrète Témoignage de M. KLEIN, maire de Moussey
A Moussey, et dans toute la vallée du Rabodeau, nombreux sont les habitants qui ont participé de près ou de loin à des actions de résistance. M. Bertrand Klein, maire de Moussey, qui a reçu notre groupe avec beaucoup de gentillesse dans une salle de la Mairie, évoque le silence qui prévalait à l'époque sur les actions de résistance et la discrétion qui a été observée après la guerre.
Thaïs : Avez-vous de la famille qui a participé à la Résistance ou qui a été passeur ? (extraits de l'interview) M. Klein : "Ma famille est originaire de Moussey, autant du côté de ma mère que de mon père. La famille de ma mère était commerçante (épiciers, bouchers, etc.), et ces gens ont effectivement participé à des ravitaillements, des apports de nourriture… sans jamais en parler. Seule ma mère m'a raconté certaines choses qui se sont passées chez elle, pendant la guerre. Leur façon de résister était donc de nourrir les résistants du secteur et d'alimenter les Anglais. Chez moi, personne n’ a été passeur, je sais simplement qu’un de mes grands-pères a été secrétaire de mairie. Les habitants de Moussey étaient très modestes, ils ne parlaient pas de leurs activités : en 1944, on ne savait pas que son voisin cachait des anglais, ou nourrissait quelqu’un, ou soignait un soldat blessé. Dans ma famille, on ne m’en a jamais parlé, c’est seulement aujourd’hui que je découvre des écrits et que j’apprends qu’il s’est passé plein de choses. On évitait aussi bien sûr d’en parler, car son voisin pouvait avertir les Allemands ou leurs alliés partisans de la collaboration..."
La coordination entre Moussey et les passeurs Témoignage du fils de M. Hubert Ledig, passeur pendant la guerre : il évoque les évasions et les contacts avec les Résistants de Moussey. Recueilli par Maud et Emma, en vidéo en 2013, retranscrit par Angelica.
Rencontre entre Emma, Maud et Hubert Ledig fils, au Mémorial de l'Alsace-Moselle en 2013
Hubert Ledig : Je suis né en 1942. A cette époque-là, mon père était passeur. Maud : Qu'est ce que c'était, un passeur? Hubert Ledig : Dans nos régions, c'était un homme qui aidait les gens à passer la frontière. Vous savez que l'Alsace avait été annexée : la frontière entre la France et l’Allemagne se trouvait sur les crêtes vosgiennes. Mon père a découvert la possibilité de passer facilement la frontière dans les circonstances suivantes : deux jeunes gens, qui voulaient quitter la région de Schirmeck pour aller en France, avaient sollicité mon père parce qu'il aimait la nature et connaissait bien la forêt. Si l'on regarde une carte (voir ci-dessous), on constate que le village français le plus proche du côté français, c’est Moussey, dans les Vosges. Cela fait 14 km environ. Mon père a donc emmené ces deux jeunes gens à Moussey, en passant par de petits sentiers forestiers. Et en rentrant, il a dit à ma mère qu'il fallait qu'il y retourne, qu'il avait l'impression d'être allé respirer de l'air pur. Il voulait dire qu'il n’avait vu aucun Allemand ! Mon père était cheminot, il travaillait à la gare de Fouday (à une dizaine de kilomètres de Schirmeck), où passaient les trains qui allaient de Strasbourg à Salm. Les prisonniers de guerre évadés, qui fuyaient l'Allemagne, empruntaient ces trains pour passer la frontière. Pour ne pas être arrêtés, ils devaient descendre avant le terminus de Salm, frontière entre l'Alsace annexée et la France, où il y avait la douane et les policiers allemands. Mon père veillait et il avait le nez fin ! Il repérait les personnes qui avaient l’air de chercher quelque chose, il les faisait descendre du train et il les cachait en gare de Fouday, toute la journée, bien souvent dans les toilettes, le temps de finir son service. Puis il les ramenait à la maison, au lieu dit La Claquette, et, quand ça se présentait bien, quand le temps le permettait, sans prévenir son chef de gare, il les emmenait de bonne heure, le matin, jusqu'à Moussey, dans les Vosges. Il a fait ça jusqu'en 1943.
Il était difficile de passer en pleine en forêt, surtout qu'ils n'empruntaient pas, en général, les sentiers balisés où les douaniers faisaient leurs rondes. Ils partaient donc vers 4 heures du matin pour arriver à la frontière quand il faisait jour. Arrivés à Moussey, il y avait des contacts qui intervenaient ensuite et mon père faisait le circuit inverse, en prenant bien sûr les mêmes risques. Le contact avec les gens qui voulaient fuir ne s'effectuait pas que dans les trains ou en gare de Fouday. Il y avait aussi des gens qui savaient très bien que mon père était passeur, et qui lui demandaient s'il pouvait faire passer un frère, un cousin réfractaire... Après août 1942 en particulier, quand les Allemands ont décrété l'Incorporation de force des Alsaciens et des Mosellans, mon père a aidé beaucoup de gens à franchir la frontière. A un moment il y a eu tellement de demandes, qu'à Moussey, les villageois qui participaient à la filière d'évasion, et les gendarmes qui établissaient les fausses cartes d'identité, lui disaient : "Ralentissez un peu parce qu'on n'arrive plus à suivre le mouvement !" Il a appris à ce moment-là qu'une autre personne du village, qui habitait tout près de chez nous, faisait la même chose. A partir de ce moment, ils se sont concertés entre voisins pour que les Mousséens puissent héberger les réfractaires, qu'ils aient le temps de faire les fausses cartes d'identités et d'organiser les départs... Un Alsacien qui refusait d'aller sur le front allemand risquait d'être repéré et arrêté. Sa carte d'identité indiquait qu'il était né en Alsace. Tous les jeunes de son âge étaient des soldats "allemands". Les Vosges étaient occupées par l'armée allemande, surveillées par des policiers allemands, ils pouvaient être arrêtés à la suite d'un contrôle. C'est pour cela qu'à Moussey tout un réseau s'est mis en place. La gendarmerie française a joué un rôle important en fabriquant de fausses cartes d'identité. Elle étaient faites à tour de bras, en remplaçant les noms alsaciens par des noms à consonance française et les lieux de naissance alsaciens par des lieux de naissance en France. Puis, mon père qui était né en 1912, a vu, en 1943, sa classe d'âge concernée par l'incorporation dans l'armée allemande. Il ne voulait pas être un soldat allemand, il n'allait pas attendre qu'on vienne le chercher ! En mai 1943, avec ma mère, ma sœur et moi ( j'étais tout petit , je vous l'ai dit, je suis né en 1943), on a passé la frontière pour aller en France. En tout, mon père pensait avoir aidé une soixantaine de personnes, mais pas plus de trois ou quatre personnes à la fois. Emma : Quels étaient les risques ? Hubert Ledig : Au début, en 1941, je ne vais pas dire qu'il n'y avait pas de risques, mais ils étaient limités : les douaniers allemands faisaient des rondes dans le massif vosgien, près de la frontière, mais les gens du coin connaissaient les endroits où les Allemands n’allaient pas, où la frontière n'était pas totalement hermétique et où il était possible de la franchir. Les douaniers allemands, étaient des vieux, des "anciens". Ils n'étaient pas toujours très attentifs, pas très fanatiques, ils faisaient leurs rondes et fermaient un peu les yeux, ils n'étaient pas tellement zélés. En 1942, l'armée allemande a connu ses premiers revers sur le front russe (à Stalingrad par exemple) et l'incorporation de force des Alsaciens et des Mosellans a été décrétée. Pour rendre les frontières un peu plus étanches, de jeunes douaniers ont été postés. S'ils n'étaient pas assez attentifs, ils risquaient d'être envoyés sur le front russe. Après 1942 les Allemands ont aussi instauré un no man's land tout le long de cette frontière. Et comme les douaniers avaient ordre de tirer à vue, on ne pouvait plus accéder à la frontière. Il fallait donc être très prudents.
François Poure, guide du Souvenir français, parle de la borne qui marquait la frontière entre Salm et Moussey pendant la seconde guerre mondiale.
Aider les passeurs et les SAS : des engagements dangereux Témoignage de M. GANDER, guide du Souvenir Français
De nombreux Mousséens, à l'image de Jules Py, dont parle M. Klein, ont payé très cher leur engagement. 187 Mousséens ont été déportés lors des rafles d'août et de septembre 1944. Beaucoup sont morts à Dachau, comme Jules Py. M. Gander, guide du Souvenir français, nous a rappelé les risques que couraient les passeurs et les complicités dont ils bénéficiaient de la part des gardes-forestiers et des bûcherons. Les habitants qui, comme ses grands-parents, sont venus en aide, en 1944, aux parachutistes anglais pourchassés, couraient aussi de grands risques.
Les précautions à prendre pour les passeurs "Le sentier des passeurs, qui est resté en partie authentique, tel qu'en 1943. C'est celui où Hubert Ledig passait avec parfois jusqu'à 6 personnes. Il y avait des gardes-forestiers et des bûcherons qui possédaient des laissez-passer, délivrés par les Allemands pour exploiter la forêt dans sa partie vosgienne... Ils savaient qu’il y avait des passeurs. Ceux-ci bien sûr se méfiaient des douaniers. Pour passer la frontière, il existait entre eux un code secret : si le bûcheron se promenait, la hache sur l’épaule, cela voulait dire qu’ils pouvaient passer sans danger. Si sa hache lui servait de canne, cela signifiait que les douaniers et les gardes étaient présents." Le rôle des grands-parents dans la résistance de Moussey et dans l'aide aux parachutés des SAS. La répression allemande. "Ma grand-mère a hébergé jusqu'à dix SAS. Elle les nourrissait. Il était essentiel pour eux d'accéder à des endroits où l'électricité était disponible. Elle leur permettait d'envoyer des messages en Angleterre. Les SAS repartaient ensuite dormir en forêt. Ils ne se mélangeaient pas avec les maquisards français parce qu'ils savaient que les maquis étaient infiltrés (des espions pouvaient s'y être mêlés). Malheureusement les Allemands avaient des détecteurs qui repéraient les appareils de radio. Lorsque les SAS quittaient la maison de ma grand-mère, la première chose que mon grand-père faisait, c'était d'ouvrir la fenêtre parce que les Anglais fumaient des cigarettes blondes dont l'odeur était reconnaissable. Et les mégots passaient au fourneau. Malheureusement, les Allemands n'étaient pas naïfs et savaient très bien que les Anglais étaient dans le secteur. Un jour, ils ont fait sortir mes grands-parents et ils ont utilisé des lance-flammes pour incendier leur maison. Toutes les fermes du secteur sont parties en fumée. Dans la maison du voisin, ils ont trouvé des munitions ; dans une autre maison, dans la cave, ils ont retrouvé deux SAS et un maquisard inconnu. Ils sont enterrés maintenant dans le cimetière de Moussey." (voir le diaporama ci-dessus).
L'esprit réfractaire : le père de M. POURE
M. Poure, guide du Souvenir français, nous a accompagnés jusqu'à la borne qui marquait la frontière. Il nous en dit plus long sur cette frontière et évoque le souvenir de son père, qui n'a pas pu, à la différence de notre héros, éviter le travail obligatoire en Allemagne, mais qui est parvenu à échapper à la surveillance allemande à la fin de la guerre. Jessy : Pouvez-vous nous parler de votre père ? M. Poure : Mon père, qui faisait partie de la classe 26, était trop jeune pour être incorporé dans l’armée allemande. Il a donc été enrôlé dans le service de travail obligatoire, l’ « Arbeitsdienst », et a été envoyé en Pologne pour creuser des tranchées afin de contenir l’arrivée des Russes qui se dirigeaient vers l’Allemagne. Lors de sa dernière permission, en novembre 1944, il entendit des bruits de canon dans la région de Saint-Dié, et décida alors de se cacher et de ne pas repartir. Quelques jours plus tard les Américains arrivèrent dans son village de Ramrupt.